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Au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, un « Songe d’une nuit d’été » contemporain et populaire

La mise en scène que signe Emmanuel Demarcy-Mota du Songe d’une nuit d’été, comédie shakespearienne écrite à la fin du XVIe siècle (et traduite par François Regnault), ne fera pas l’unanimité. C’est le lot du théâtre lorsqu’il prend un parti et l’assume, quitte à laisser de côté d’autres possibilités de jeu dont l’absence se fait sentir.
On regrette ainsi de ne pas percevoir dans le spectacle présenté la torsion et la métamorphose du réel qui sont pourtant au fondement d’une fable multipliant les lignes de fuite vers l’imaginaire. Sous la plume de Shakespeare, des fées cohabitent avec des artisans comédiens, des seigneurs athéniens et même un âne chimérique. L’auteur orchestre le ballet onirique de personnages concrets et fantasmatiques. Amours naissants, couples volages, interventions surnaturelles de créatures qui visitent le sommeil des mortels, sortilèges qui dupent les sentiments : l’extravagance devient la norme dans cette nuit d’été où les notions de temps et d’espace se troublent.
Ce trouble n’apparaît pas assez dans le geste d’Emmanuel Demarcy-Mota qui se montre plus terre à terre que suggestif. Sa proposition y gagne en clarté ce que Le Songe… y perd en grâce énigmatique. Les dédales de l’histoire sont exposés limpidement par une représentation qui préfère l’explicite à l’implicite. L’option a le mérite de ne laisser personne à la porte, ainsi que le prouvaient, le soir où nous étions là, les applaudissements enthousiastes du public.
Ce Songe d’une nuit d’été découle d’un XXIe siècle anxiogène et d’une planète en détresse dont la dramatique détérioration engendre un décor désillusionné : un cimetière d’arbres calcinés dont ne demeurent que des troncs dénudés tombant des cintres de toute leur hauteur. Lumières sombres, nappes de musiques lugubres, le climax est à l’image du climat actuel (que ce dernier soit écologique, politique, sociétal et même culturel) : inquiétant.
Contre toute attente, cette esthétique postapocalyptique n’en est pas moins un digne et bel hommage au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt. L’espace, surpris par la nuit, est magnifié par les troncs élimés, sorte de géants blessés dont nul ne peut faire abstraction. Ni le public qui leur fait face, ni les acteurs qui jouent de (et avec) leur présence, en tentant d’insinuer un peu de chair, de chaleur et de sourires au sein d’un territoire hostile.
Pas de feuilles, pas d’humus, pas de fougères sur le sol passé au Kärcher. Les fleurs brandies sont des fleurs coupées. C’en est fini de la nature enchantée de Shakespeare : elle s’est repliée sous la surface du visible, à l’abri du soleil, loin de la main de l’homme, dans un univers parallèle qu’on appellera l’inconscient, ou alors la fiction. Ou, peut-être, s’agit-il là d’une faille quantique et hospitalière, où s’inventent d’autres modes d’existence. Un refuge protégé des contingences terrestres, où Obéron, Titania, Puck (le roi, la reine et le lutin des fées qui sont autant d’émanations des poètes) auraient encore le pouvoir de réinsuffler du vivant dans un paysage sinistré. Ce qui se confirme lorsque, ouvrant les trappes du plancher, ils laissent surgir des lueurs vives qui transpercent enfin la grisaille.
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